mercredi 25 juin 2008

Eric Nehr


Les monochromes d'Eric Nehr me sont revenus en mémoire en rédigeant le post sur Laura Henno...dont le collectif Qubogas est représenté par la gallerie Anne Barault qui présente également le travail de ce photographe depuis 1998.

Photographe de mode, sélectionné au festival de Hyères en 1999, Eric Nehr est également reconnu dans le monde de l'art contemporain pour ses séries de portraits, notamment présentées à travers deux expositions, en 2004 et 2006.

On trouve beaucoup de texte élogieux sur ces photographies (1, 2). La première série de 2004: des portraits qui mettent en avant la finesse des corps et des attitudes, une ellipse sur les regards, singulièrement absents; un focus déjà, sur le corps en tant que matière; l'utilisation du fond (qu'il peint lui-même pour chaque sujet) comme élément complémentaire chargé de souligner plutôt que de contraster.


Deuxième série en 2006, qui va plus loin et plus fort: les fonds et les corps se mêlent et se brouillent, un détail ressort, prévaut, et semble une oeuvre déconnectée et iréelle...Eric Nehr réussi à mon sens deux choses essentielles à travers ce travail: la lumière ne contraste plus, elle souligne; le corps de matière, tourne à l'abstraction.



Bio expresse: né en 1964, vit et travaille à Paris.

dimanche 22 juin 2008

Laura Henno

La tentation de l'année dernière; à l'approche des rencontres d'Arles, je reviens un instant sur celle qui remporta le prix de la découverte en 2007.

Le plus beau texte sur les photographies de Laura Henno est sans doute celui de la commissaire Marie-Thérèse Champesme, que l'on trouve sur le site de l'artiste.
Dans ces photos entre fictions narratives et réalité figée, la photographe assure laisser toute liberté à ces adolescents qui ne posent ni ne savent à quel moment elle déclenche l'appareil. C'est peut-être de la conjonction d'une attention minutieuse portée à l'environnement, d'un traitement de la lumière qui isole par les contrastes et de sujets abandonnés dans ces cadres souvent hostiles que naît le sentiment très fort de toucher de près tous les affects de l'adolescence.

Bio expresse: française, née en 1976, vit à Lille.
Egalement: films, et travail collectif avec Qubogas


samedi 21 juin 2008

Coiffures pour dames de Fabrice Guyot


"Leur bistrot à elles": Fabrice Guyot, photographe, et Claire Judrin, journaliste, ont écumé entre 2003 et 2007 les salons de coiffures à l'ancienne.

Une fois la porte poussée, les photos frappent de justesse et d'humanité. Il me semble déjà rare de voir des sujets qui traitent de la vieillesse; ici, pas de compassion ou de condescendance, le joli texte de Claire Judrin est l'exact reflet de ces images qui sont belles mais pas prétentieuses, qui manient l'humour mais respirent la dignité, qui pointent le lien social mais suggèrent la solitude.
Je ne dirais pas de Fabrice Guyot qu'il a réalisé un travail artistique d'exception (d'ailleurs j'aime beaucoup moins ses autres images), mais au-delà de la qualité réelle des photos, "Coiffures pour dames" traite de manière réjouissante d'un sujet qui est souvent difficile, avec ce fragment d'humanité qui devrait habiter toutes séries documentaires.

Et comme je n'arrive pas à choisir, ci-dessous quelques photos; les autres sont ici.
Et d'autres séries qui portent sur la vieillesse, .



dimanche 15 juin 2008

Lucie & Simon


Je découvre Lucie & Simon à rebours. En parcourant les recensions qui font écho au PPP 2008, je suis littéralement tombé sur cette photo. Le sentiment de vertige, la tension mise en scène entre l'impression de voyeurisme et la douceur qui émane de la rêverie de cette voisine, la partition du cadre et les oppositions axiales qui suggèrent l'intérieur réconfortant et chaleureux face à une ville qui sombre dans l'étrange et l'inquiétant, la nostalgie profonde et douce de cette photo enfin, me projettent un soir d'été, au moment ou la ville retrouve la tiédeur du soir et bruisse d'une activité au ralenti.

Quelques clics m'ont appris que Lucie et Simon ont 27 et 22 ans, sont française et allemand, et mènent depuis 2005 un projet photographique sur l'homme et la société au 21ème siècle (avec un seul appareil...). La photo ci-dessus a pour titre 'Window on courtyard' et appartient à la série Scenes of life.
Machines et Earth Vision sont deux autres séries, à découvrir sur leur site.


Découvrir après coup ces 2 précédentes séries a singulièrement renforcée l'impression que m'avait faite 'Window on Courtyard'. Que ce soit dans le lien entre l'homme impuissant et l'architecture démesurée et anarchique que montre 'Waiting for the end' ou dans le rapport entre l'homme consommateur et l'industrie agro-alimentaire dans 'Production prototype', ces photographies montrent un individu retranché de son humanité et dépassé par les moyens qu'il a du mettre en œuvre pour assurer son existence.


Dans ce contexte, la série Scenes of life s'enrichit des réflexions précédentes, parce que la question du rapport entre l'individu et son espace est bien au coeur du sujet, et parce que les réponses proposées ici me semblent plus optimistes.

Combien ça coûte? C'est ici et .

Bio expresse: nés en 1981 et 1986, vivent et travaillent à Paris.

vendredi 13 juin 2008

Candida Höfer vs Tali Amitai-Tabib



La première est allemande, élève de la prestigieuse Académie de Arts de Düsseldorf, jouit d’une réputation internationale et expose dans tous les musées d’art contemporain depuis plus de 30 ans ; la seconde est israélienne, autodidacte, et depuis quelques années, expose plus modestement, à la galerie parisienne Olivier Waltman dernièrement. Toutes deux photographient les lieux de la culture (occidentale), dans une approche documentaliste.


Même souci de rigueur, absence de tout personnage, importance de la lumière, identité des thèmes (notamment le rapport entre les productions culturelles et leurs espaces de représentation)…tout tend à mettre les deux artistes sur le même plan. Du coup, antériorité et notoriété obligent, Tali Amitai-Talib apparaît à première vue comme la photographe qui ‘fait’ du Candida Höfer, on peu plier.
À y regarder de plus près, les choses changent: en observant comment chacun des éléments cités plus haut ajoutent à la démarche artistique, on voit se dessiner deux manières bien distinctes de produire ce qui semble être la même photographie.


Candida Höfer est une ancienne élève de Bernd Becher. Son rigorisme, ses photos au grand angle qui embrassent des espaces majestueux, son obsession de la lumière, servent à produire des images monumentales. L’absence de présence humaine est le moyen de porter au regard la force et la puissance qui naît de lieux où l’architecture ordonnée, mise à nue, abrite le fruit du génie humain. Prises systématiquement de face, ces photographies sont l’occasion pour le spectateur de découvrir « les lignes de fuites» de ces espaces sacralisés.


Chez Tali Amitai-Talib au contraire, l’approche de ces lieux de culture est beaucoup plus personnelle et subjective. L’absence de personnages n’est plus la condition pour montrer l’ordre des choses, mais le moyen de proposer une vision intimiste et retranchée du monde extérieur. La lumière ne rythme plus, elle souligne ; la rigueur ne fige plus, elle met à jour le léger tremblement qui trahit l’émotion personnelle ; les angles de vue s’autorisent le détail. Photographiant les musées de Florence, Tali Amitai-Talib explique: « dans ces lieux, que j’ai scrupuleusement veillé à vider, la trace de l’homme et les mouvements de lumière apparaissent comme les métaphores du savoir et de la création ».


Son dernier travail sur les bureaux d’écrivains et poètes israéliens est certainement le plus représentatif de sa démarche. Ici le lieu de production de l’œuvre, purement privé, atteint le comble de l’intime et de l’éphémère, en opposition flagrante avec l’œuvre, universelle et éternelle ; Tali Amitai-Talib trouve ici le sujet idéal pour laisser affleurer l’émoi et le respect profonds que l’on sent chez elle face à toute manifestation de cette puissance créatrice qu’elle a mis des années à maîtriser elle-même.

Là où Candida Höfer démontre, Tali Amitai-Talib témoigne.


Peu d'articles sur Tali Amitai-Tabib, voir sa galerie parisienne et une galerie israélienne.
Pour Candida Höfer, voir ici, ici, et .

samedi 7 juin 2008

Jake Rowland


Le mieux, pour parler de Jake Rowland, c'est de le présenter dans l'ordre où je l'ai découvert.

Je suis d'abord tombé sur ces portraits qui m'ont immédiatement attirés: rigueur et formalisme techniques, dépouillement et contrôle; je suis toujours admiratif de ce type de traitement qui, par son absence même d'événement, laisse entière la place au mystère du sujet.
Et précisément, en parcourant les différentes photos de la série, le mystère voire le malaise face à chaque portrait s'est fait grandissant.


Ensuite, cherchant quelques informations, je suis allé sur le site de Jake Rowland. Ces photos sont en fait des montages numériques qui mélangent des portraits de sa femme et de lui-même, la volonté étant de questionner l'identité et les altérations que celle-ci subie sous l'effet des relations intimes que nous entretenons, à travers le mariage ou la famille par exemple.
Si l'idée d'affirmer que l'heureux propriétaire d'un chien fini par en porter les stigmates n'est pas franchement nouvelle, je trouve cependant le résultat très fort, et notamment artistiquement. Reste une question que je me pose à chaque fois que je revoie ces photos: les visages m'apparaissent-ils si étranges parce que je connais le contexte, ou bien parce qu'ils sont en fait des visages "impossibles" qui réunissent, de manière imperceptible, des traits de visages qui sont incompatibles? En clair: toutes les combinaisons sont-elles naturellement possibles?


Jake Rowland a poursuivi ce travail en mélangeant des portrait de sa famille nucléaire. Il l'a fait entre 2004 et 2007, est passé par Hyères et le Hey Hot Shot Festival en 2005, une valeur montante donc.
Aujourd'hui, il oriente me semble-t-il son travail vers les objets, la consommation et les icônes; par ailleurs, il vient de lancer une revue en ligne: Texas New York City, sur la photographie et l'écriture.

A suivre; avec attention.

mercredi 4 juin 2008

Alec Soth au Jeu de Paume


Bon
; il n'est pas question que je fasse ici un article de fond sur Alec Soth: ça prendrait des jours, le résultat me déprimerait de médiocrité. Cependant, l'exposition au Jeu de Paume était un petit plaisir que je me gardais sous la langue depuis plusieurs semaines. Dimanche, j'ai croqué.

2 réflexions qui m'ont marqué depuis ce week-end, et je pense que je pourrai revenir régulièrement via d'autres posts sur l'impact qu'à sur moi le travail d'Alec Soth.

D'abord cette série intitulée "Dog days à Bogotà". J'avais reçu le livre en cadeau, sans connaître le contexte: très bien. Il s'agit en fait d'une série qu'il a effectué pour sa fille adoptive, alors qu'il venait la chercher à Bogotà. Cherchant à prolonger le journal intime que laissait sa mère à sa fille, il a choisi de documenter son histoire, de produire un témoignage sur ses racines et sur son monde, cherchant à comprendre à la fois la brutalité et la beauté de la ville.
Imaginer le regard d'un père adoptif, photographiant une ville qu'il ne connait pas, et ayant sans cesse à l'esprit cette fille tant désirée qui fera bientôt partie de sa vie et de son monde à lui...sortez les mouchoirs: trop fort!


Deuxième rémanence: "the space between us". Je lis beaucoup de commentaires sur le travail des photographes concernant les portraits, chaque fois j'en ressort perplexe. Oui, il n'est pas possible de savoir exactement ce que cache/est la personne en face de vous, oui, l'image est une représentation sociale trompeuse par essence, oui, oui, etc...
Variation sur le thème de la part d'Alec Soth: ce que je photographie lorsque je fais un portrait ce n'est pas la personne, ce n'est pas non plus moi-même; c'est l'espace qui nous sépare et cette distance dans laquelle s'inscrit la compréhension mutuelle que photographe et sujet partagent au moment de la prise de vue. J'aime cette idée, qui met l'accent non pas sur l'un ou l'autre des sujets mais sur la relation, éphémère, qui se construit à cet instant. Elle est à la fois plus vraie parce que toute rencontre est fondée sur une relation interprétée en permanence par ses acteurs, et plus riche parce qu'elle renvoie nécessairement à cette autre relation que nous produisons au moment même où nous, visiteur, nous contemplons la photo.
Affirmer que seule l'interaction est réelle, je trouve ça tellement 2.0!



Petites précisions sur le contexte de production des portraits chez Alec Soth: ce sont souvent des photos prises en marge d'autres projets, au hasard des rencontres; les photos sont prises à la chambre, i.e. comptez 2 bonnes minutes pour la prise de vue, ce qui explique le caractère nécessairement figé des sujets.



Toutes les photos d'Alec Soth? Ici
Et son blog?